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L’aigle et la chouette

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Je voudrais entretenir le lecteur d’une découverte que j’ai faite au long cours. Je veux l’amener à sentir l’importance de la philosophie politique et sa pleine actualité. Pour ce faire, je vais devoir témoigner, donc parler quelque peu de moi, ce dont je prie chacun de ne pas interpréter comme fatuité déplacée.

Je ne me suis intéressé que très tardivement à l’histoire. J’ai mis du temps à comprendre son importance. J’y ai pris goût grâce à un personnage bien connu, Napoléon Bonaparte. Il est de ceux qui ne laissent personne indifférent et attirent à eux l’outrance des points de vue ; soit qu’on se plaise à le faire passer pour ce qu’il n’était pas, soit qu’on l’encense plus qu’il ne le méritait. Toujours est-il que la figure de Bonaparte demeure, me semble-t-il, le pivot de la parenthèse révolutionnaire 1789-1815, elle-même fondamentale dans notre histoire. L’on ne peut étudier la Révolution française en avortant celle-ci, que ce soit dès 1791, en 1793, 1795 ou 1799. Il aura fallu un bon quart de siècle pour que cette période prenne racine et qu’il lui soit peu à peu rendu un véritable culte, au-delà même de nos frontières.

Mais en-dehors de la personne de Napoléon, il est tout un réseau d’acteurs et de héros révolutionnaires – monarques, généraux, tribuns, penseurs et avocats, français ou étrangers – dont les engagements intriqués constituent la trame de ce grand moment de notre histoire. Certains auraient aimé voir dans la Révolution le mouvement spontané et général du peuple indistinct, nouveau venu sur la scène politique, sans que n’ait à être signalé le rôle tenu par les meneurs, opportunistes ou non. Or, de la même manière qu’il est impossible de dissocier l’élan révolutionnaire de l’éclat puis de la lente sclérose impériales, il est vain de vouloir nier l’importance des grands hommes en de pareilles occasions. Et plus une période se prête au renouveau et à l’appel des vocations, plus elle produit de ces grands hommes.

Comme beaucoup, j’ai donc maintes fois été émerveillé par tant de talents et d’audace, que je n’ai retrouvés par la suite qu’en m’entichant de l’Antiquité gréco-romaine. Il y a en effet un ouvrage à la Plutarque restant à écrire des « vies parallèles » entre héros classiques et contemporains. Parmi les nombreux candidats, je n’évoquerai succinctement que trois d’entre eux, modèles de vertu, tous militaires, l’armée ayant été durant la Révolution un extraordinaire organe de promotion sociale.

Il y a tout d’abord le général Drouot, « Sage de la grande Armée », fidèle parmi les fidèles, un homme d’une humilité rare qui, à la chute de l’Empereur qu’il a suivi une première fois sur l’île d’Elbe, demande à rejoindre l’homme déchu à Sainte-Hélène. En vain. Dès lors, il refuse tous les honneurs, tous les offices, tous les traitements, vit chichement et économise pour s’offrir un voyage sans retour sur l’île maudite. Il y parvient mais trop peu de temps avant la mort de Napoléon, ce qui l’afflige. Il meurt en 1847, aveugle, sans avoir pu écrire ses mémoires. Ayant été l’un des rares à figurer sur le testament de l’Empereur, il lègue la somme héritée à sa bonne ville de Nancy. Lacordaire prononce son éloge funèbre.

Il y a ensuite Moncey, premier gendarme de France et maréchal d’Empire. Au moment du procès de Ney en 1815, il se démet de la présidence du conseil de guerre, excluant d’avoir à juger un ancien compagnon d’armes. Il est alors destitué et mis aux arrêts trois mois durant au fort de Ham. Le commandant prussien de la place refuse de retenir prisonnier un maréchal d’Empire ? Qu’à cela ne tienne, Moncey loue une chambre à l’auberge d’en face dans le but de s’y enfermer trois mois et de ne rien devoir à personne. Sur la fin de sa vie, nommé gouverneur des Invalides sous Louis-Philippe, il accueille, subclaquant, les cendres de l’Empereur au cours d’une cérémonie qu’il ponctue au final du célèbre : « à présent, rentrons mourir ».

Il y a enfin le général Exelmans. Fait prisonnier durant la campagne d’Espagne, il est envoyé en détention en plein milieu de l’Angleterre. Il parvient à s’échapper en 1811, traverse le pays ennemi, puis la Manche sur une maigre barque et rejoint la France. Au lieu de se faire oublier, il reprend rapidement du service et repart en Russie avec la Grande Armée. À la fin des Cent-jours, et après la défaite de Waterloo, il remporte l’ultime victoire française des guerres de la Révolution et de l’Empire, non loin de Paris, et devient à cette occasion le « Lion de Rocquencourt ». En 1851, Il sera fait maréchal de France par le Prince-président, neveu de qui l’on sait.

Tous ces grands destins individuels nous semblent aujourd’hui d’un autre âge, presque mythifiés tant les personnages publics qui font notre quotidien se montrent, dans l’ensemble, bien loin d’une telle grandeur. Certes, il y eut aussi des âmes beaucoup moins généreuses il y a deux cents ans, comme de nos jours il n’y a pas que des avortons. Néanmoins, certains moules semblent avoir été détruits, ce dont le terre-à-terre de notre époque est peut-être en partie responsable. Et puis en même temps, la période révolutionnaire était nimbée d’une sorte d’aura unifiante ; le souffle national qui s’en dégageait paraissait être la promesse d’une nouvelle forme de religiosité, la garantie d’un esprit de corps. Et celui-ci aussi nous l’avons perdu.

Qui s’est intéressé sérieusement à la lente émergence de l’État moderne au Moyen Âge sait que nationalisation et sécularisation sont intimement liées. Philippe le Bel est l’exemple-type du monarque ayant fait fond sur le sentiment d’appartenance national de ses sujets et, conjointement, œuvré pour déprendre son royaume de la tutelle de l’Église. Il a fait jouer l’un contre l’autre. La Révolution, qui couvait la laïcité et ses excès, n’a pu s’épargner le recours à une religion laïque, le culte de la patrie. Napoléon aura été son grand prophète, au point d’avoir nourri les nationalismes étrangers (prussien, espagnol, italien, russe) et précipité en retour la chute de son empire. L’amour de la nation n’est viable que dans certaines limites géographiques, mais il est essentiel.

Je crois pouvoir dire que ce souffle épique, cet esprit de corps n’est pas étranger à l’intérêt que suscitent la Révolution et l’Empire en France et de par le monde. Et je crois pouvoir ajouter qu’en regard, les belles individualités dont nous parlions plus haut participent pour moitié à cet engouement. Nous avons donc là communion des affects, et en vis-à-vis enfantement des talents, toutes extractions confondues : soit ce que j’appellerais l’un et le multiple. Lorsque ces deux fléaux de la balance politique sont à l’équilibre, tout devient possible. La logique est la même dans le sport, d’où sans doute l’attrait grandissant que nous lui connaissons. Que la promotion des capacités individuelles des athlètes vienne à rencontrer le sentiment d’appartenance émanant de leur public et l’osmose est complète.

Napoléon aura donc été l’huissier de ma passion soudaine pour l’histoire, bien au-delà du terrain de jeu et de la période qui le concernent directement. Une passion qui, elle-même, de fil en aiguille, m’a conduit à m’intéresser à la philosophie. J’ai appris à considérer l’histoire comme l’outil indispensable du philosophe, ce sans quoi il n’a pas matière à œuvrer. Un philosophe doit être avant tout un historien ; la réciproque n’est pas vraie. Parmi toutes les subdivisions de la philosophie, il en est une qui m’a particulièrement fasciné et que certains considèrent comme la philosophie « première ». Cette discipline, c’est la philosophie politique (et morale, l’une n’allant pas sans l’autre). Je la qualifierais comme étant une réflexion sur la vie bonne en amont, sur le meilleur régime en aval, et, globalement, sur l’équilibre à trouver entre l’individu et sa communauté d’appartenance. Là encore, il s’agit de faire cohabiter l’un et le multiple, de les rendre conutritifs.

Quels meilleurs guides dans cette voie que les philosophes grecs, premiers officiants en la matière ? Après l’aigle, voici venir la chouette. Après l’expérience historique et passionnée des belles âmes proclamatrices de la nation, l’examen raisonné d’une conciliation, celle entre l’expression de tous les talents dans la Cité et le respect dû à celle-ci en tant que matrice. Et le mieux à même d’expliciter ce besoin de « médiété », d’équilibre entre l’exaltation de l’individu et l’entretien de la communauté, ce fut Aristote. En effet, le droit naturel selon Aristote permet non seulement de ne négliger ni l’un ni le multiple, mais il les envisage en un appui mutuel.

Voilà pourquoi Aristote, voilà pourquoi Napoléon, et voilà pourquoi Aristote après Napoléon ; chacun me servant ici de paradigme (historique pour l’Empereur et métaphysique pour le Philosophe). De manière générale, l’histoire nous prouve qu’un peuple reniant son identité collective ne se ménage pas de beaux jours. À l’opposite, la philosophie aide à penser l’individu, ce qu’il est réellement, ce qu’il ne sera jamais, ce sans quoi il ne peut être et l’espoir qu’il constitue.

Tout cela demande du temps, de la patience, la ferme volonté d’appréhender les mouvements du monde et la construction de soi en tant qu’être pensant. Mais avant tout sont requis des égards incessants pour notre pays, notre œuvre commune.

Éric Guéguen

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